[Traduction par les camarades du projet Cabrioles – Carnet de recherche pour l’Autodéfense Sanitaire]
La crise écologique a un impact profond sur les conditions matérielles de la reproduction sociale, s’étendant au-delà des “catastrophes naturelles” pour englober un approfondissement des contradictions inhérentes au capitalisme. Cette crise ne se manifeste pas seulement par des événements tels que les inondations, les sécheresses et les pandémies, elle joue également un rôle direct dans l’alimentation des conflits, des troubles sociaux et des déplacements massifs de population. Dans ce qui suit, nous tentons de présenter un argumentaire complet sur le lien entre la crise écologique et la montée de ce que nous appelons le courant post-fasciste, une tendance politique et idéologique qui se développe dans le monde entier. Le post-fascisme est la forme politique de la conversion de l’indignation généralisée des masses face aux conditions de l’existence sociale en nationalisme, en racisme et en conflit ethnoculturel, sans remettre le moins du monde en question les formes dominantes du libéralisme autoritaire. Au contraire, il sert de complément à ces formes, agissant comme un levier pour normaliser des politiques autrefois considérées comme extrêmes et inacceptables, tout en créant un faux adversaire qui les légitime.
La forme capitaliste du métabolisme entre la société et la nature
La forme capitaliste du métabolisme entre la société et la nature est définit par la tendance du capital à sa propre expansion ininterrompue et illimitée comme valeur s’auto-valorisant. Cette tendance entre nécessairement en conflit avec les conditions matérielles et temporelles naturellement déterminées de la production, telles que les cycles de reproduction biologique des animaux et des plantes. Le caractère homogène, divisible, mobile et quantitativement illimité de la forme valeur est en opposition directe avec l’unité et l’indivisibilité des produits de la nature, avec leur diversité qualitative, leur spécificité locale et leurs limites quantitatives.
Le fait que le capital considère chaque limite naturelle socialement conditionnée comme une barrière à franchir ne signifie pas qu’un tel franchissement soit réellement possible sans perturber les équilibres écologiques locaux ou même planétaires. Au contraire, c’est précisément là que réside le potentiel de changements catastrophiques dans les écosystèmes locaux et périphériques et de perturbations plus globales de l’équilibre écologique planétaire. La rupture de l’équilibre écologique planétaire actuel (avec l’émergence de l’Anthropocène), l’accumulation de gaz à effet de serre, de polluants et de substances toxiques, et l’altération catastrophique potentiellement irréversible du climat – conduisant à la destruction des conditions naturelles nécessaires à la satisfaction des besoins sociaux humains – ne sont pas des résultats inévitables du conflit entre société et nature. Il s’agit plutôt de phénomènes historiques spécifiques liés à la prévalence du mode de production capitaliste.
Les experts et gestionnaires capitalistes commencent à discuter de la “gestion rationnelle des ressources naturelles” alors que la productivité du capital est compromise par les pratiques de gaspillage et de destruction inhérentes aux processus de production des entreprises et des États qu’ils gouvernent. Cela inclut l’épuisement des terres cultivées, la déforestation, la pollution de l’eau, l’épuisement des minéraux rares et des combustibles fossiles faciles à extraire, etc. Lorsque la dégradation de l’environnement entrave la reproduction élargie du capital, par exemple en ralentissant la productivité agricole ou en augmentant les dépenses consacrées à la lutte contre les maladies liées à la pollution, augmentant ainsi la valeur de la force de travail, ces cas de dégradation de l’environnement sont qualifiés par l’économie dominante d'”externalités environnementales” ou de “défaillances du marché dues à l’absence de droits de propriété”, entre autres termes. Ces catégories représentent, sous une forme mystifiée, la nécessité de transférer le coût accru du capital au prolétariat mondial par l’imposition de taxes à la consommation et l’octroi de subventions aux entreprises capitalistes pour l’adoption de “technologies respectueuses de l’environnement” (“Green Deal”, “énergies renouvelables”, “économie circulaire” et autres), afin d'”internaliser les économies environnementales externes”, conformément au charabia de l’économie.
La nature comme catégorie sociale
Comme nous l’avons déjà souligné, la tendance à l’expansion illimitée de la valeur s’auto-valorisant transforme la nature en un simple objet pour l’humanité, une simple matière utile, un objet à s’approprier librement sans se soucier de la dilapidation de ses richesses et de ses forces, et encore moins de la “transmettre améliorée aux générations futures”.2 Il n’existe aucune régulation rationnelle du métabolisme entre la société et la nature qui pourrait garantir la satisfaction des besoins humains riches et variés sans l’épuisement des ressources naturelles. C’est la base de la crise écologique à laquelle nous sommes confronté·es aujourd’hui, dont la manifestation principale est le changement climatique catastrophique.
Mais outre cette conception abstraite, calculable et formellement/instrumentalement rationnelle de la nature qui découle de la structure économique du capitalisme, une autre conception de la nature est apparue en réaction à la réification du capital et sa tendance à “dépouiller l’humain de son essence humaine” : une conception romantique-irrationaliste qui attribue à la nature la signification d’une croissance organique, en contraste avec les structures artificielles de la civilisation humaine. Comme le note judicieusement Georg Lukács : “le concept de ‘croissance organique’ comme slogan militant contre la réification a acquis, par le biais du romantisme allemand, de l’école historique du droit, de Carlyle, de Ruskin, etc. une connotation réactionnaire de plus en plus claire”.3 Malgré ses prétentions, la conception romantique/organiciste de la nature agit comme une justification de l’ordre des choses existant. Son rejet de la réification capitaliste prend le caractère d’une opposition aux seuls éléments égalitaires, anti-hiérarchiques et anti-autoritaires de la modernité qui, par ailleurs, sont qualifiés de décadents, dégénérés, “humanistes” ou “judéo-communistes” par l’excroissance fasciste de ce courant.
L’invocation du “sang et du sol”, l’idée d’un lien mystique entre un groupe ethnique particulier et un paysage géographique particulier, la différenciation entre les “automates” et les “éveillés”, l’idée de la nature comme un modèle de relations sociales idéales basées sur la rareté, la “hiérarchie” raciale, la compétition et la “sélection” sont toutes des caractéristiques de la forme nationaliste développée dans la conception romantique-irrationaliste de la nature. Cette conception fait partie intégrante d’un programme idéologique visant à contenir et à détourner les luttes de classes et les luttes sociales en conflits intra-prolétariens selon des lignes nationales et raciales. Elle cherche à entériner et à consolider l’inégalité et la hiérarchie comme étant l’état naturel des choses.
Il est important de noter que la conception de la nature promue par le fascisme historique et le nazisme était une tentative de réconciliation de ces deux pôles. La connaissance positiviste et le savoir-faire technologique étaient combinés à un puissant sentiment d’identité du “Volk” immortel et du “spirituel”. La palingénésie de la nation au sein d’un nouvel ordre mondial associait la notion de choc mythique entre les cultures aryennes et non aryennes – une lutte à mort pour l’existence – à des éléments pseudo-scientifiques d’anthropologie raciale, de darwinisme social et d’eugénisme. La mise en valeur des terres à l’Est était en même temps un projet racial de “retour à la terre” et la réalisation d’une “utopie” technocratique (c’est-à-dire d’une dystopie) qui devait être créée “par un processus de destruction purgative, l’assujettissement impitoyable et le ‘déplacement’ des races slaves indigènes, l’éradication de leur culture, l’anéantissement des Juifs, des communistes, des prisonniers de guerre et de tout ce qui sentait le subversif ou le dysgénique “.4
La crise écologique et la montée des idéologies réactionnaires
Les mesures prises pour soutenir la reproduction sociale et l’accumulation capitaliste depuis le début de la pandémie et après l’éclatement de la “crise de l’inflation” n’ont pas pu inverser les problèmes plus profonds de la baisse des profits et de la reproduction élargie du capital à l’échelle mondiale. En conséquence, malgré tous les bavardages à propos d’un “atterrissage en douceur” de l’économie, même les économistes traditionnels continuent de prédire une période prolongée de stagnation séculaire (ou même de “stagflation”) pour la période à venir. En raison des conditions de vie difficiles dans de nombreuses régions du monde, la levée des mesures de restriction du COVID a entraîné un rebond significatif des flux migratoires. De l’Ukraine et du Haut-Karabakh à la Palestine, à l’Érythrée et au Sahel occidental, en passant par Haïti, Cuba et le Venezuela, les déplacements humains ont pris d’immenses proportions ces derniers temps. Presque partout, ce phénomène est dû à des facteurs comme les effets néfastes du changement climatique (sécheresses, inondations et incendies), l’éclatement de conflits militaires et l’appauvrissement croissant provoqué par la pandémie, l’augmentation des prix des denrées alimentaires et les effets des hausses de taux d’intérêt des banques centrales du Nord sur les pays les plus pauvres de la planète.
Il est évident que la dimension écologique de la crise capitaliste exacerbe les contradictions existantes, puisqu’elle est directement et indirectement connectée au déplacement de quantités considérables de populations, entraînant une augmentation substantielle des flux migratoires. C’est pourquoi, outre les illusions réactionnaires typiques du darwinisme social présentant les inégalités et la “survie du plus apte” comme des “faits de nature” inévitables et irrévocables (par exemple, les illusions qui imprègnent le discours covidonégationniste et anti-vaccination sur la prétendue supériorité de l'”immunité naturelle”), diverses versions régurgitées du néo-malthusianisme ont également refait leur apparition.
Une version prétendument plus “sobre” de cette idéologie reprend les principaux arguments de Garrett Hardin dans son article de 1974 intitulé “L’éthique du canot de sauvetage”, à savoir que la terre est comme un océan sur lequel les habitant·es des pays riches flottent dans des canots de sauvetage tandis que les personnes défavorisées des régions plus pauvres sont laissées à la dérive. Selon Hardin, la capacité des canots de sauvetage est limitée et si les pays riches laissent les pauvres monter à bord, tout le monde est condamné : “Justice totale, catastrophe totale”. Les réactionnaires de la post-gauche comme Sahra Wagenknecht, par exemple, affirment que les ressources limitées de l'”État-providence” devraient être allouées aux citoyens de la nation, souscrivant au discours des régimes d’austérité néolibéraux qui promeuvent l’imposition sociale de la pénurie par le biais de mesures d’austérité. La pénurie actuelle n’est cependant pas “naturelle”, mais conditionnée socialement et politiquement par la dynamique interne de l’accumulation capitaliste.
La théorie dite du “Grand Remplacement”, très populaire parmi l’extrême droite, l'”alt-right” et les nazis purs et durs, est une idéologie populationniste réactionnaire plus radicale. Selon cette théorie conspirationniste, les “élites mondialistes” remplacent démographiquement et culturellement les populations blanches par des populations non blanches, et en particulier musulmanes, par le biais de migrations massives, d’une croissance démographique différentielle et d’une réduction du taux de natalité des Européen·nes et des Américain·es blanc·hes. Cette baisse du taux de natalité est attribuée à “l’idéologie du genre”, aux vaccinations de masse, aux “maladies fabriquées” (le COVID a été présenté comme tel), aux chemtrails, à la légalisation de l’avortement, au contrôle des esprits et à la manipulation des médias, aux “xénoestrogènes” contenus dans le soja génétiquement modifié et d’autres OGM, … et cette liste d’absurdité se poursuit indéfiniment. La théorie conspirationniste du “Grand Remplacement” partage avec les discours néo-malthusianistes plus “respectables” un mépris pour la reproduction excessive des pauvres qui sont présenté·es comme une menace pour les “membres les plus laborieux et les plus dignes” de la société.6
Le manifeste intitulé “Le Grand Remplacement”, mis en ligne par celui qui se décrit comme un “écofasciste ethno-nationaliste” et qui a assassiné 51 fidèles musulmans en Nouvelle-Zélande le 15 mars 2019, déplore la baisse du taux de fécondité des “nations blanches” par rapport aux “races” non-blanches. Comme l’a écrit le meurtrier dans sa diatribe haineuse : “l’environnement est détruit par la surpopulation [sic], nous, les Européens, sommes l’un des groupes qui ne surpeuplent pas le monde. Ce sont les envahisseurs qui surpeuplent le monde. Il faut tuer les envahisseurs, tuer la surpopulation et ainsi sauver l’environnement”. Ici, le changement climatique est directement associé à l’immigration et aux taux de natalité. En réponse à la question “Pourquoi se concentrer sur l’immigration et les taux de natalité alors que le changement climatique est un problème si important ?”, il écrit : “Parce qu’il s’agit des mêmes problèmes”.
Climatonégationnisme
La négation du changement climatique garantit que le capitalisme en tant que mode de production reste à l’abri de toute critique, supprimant ainsi la nécessité de transformer ses relations de production. Au lieu de cela, ses conséquences sociales cataclysmiques et ses souffrances, vécues principalement par les populations les plus pauvres (famines, maladies, troubles civils, etc.), sont attribuées à leur propre inaptitude. En outre, au lieu de s’attaquer à ses causes, des mesures de sécurité meurtrières sont prises dans le cadre de la gestion militarisée des conséquences de la crise climatique. Comme l’observent Sam Moore et Alex Roberts dans The Rise of Ecofascism, “le négationnisme tente de repousser les limites environnementales, en externalisant les risques sur les autres. La sécurisation transforme ce risque en opportunité de controle. Plutôt que deux tendances distinctes, elles s’alignent de plus en plus comme deux facettes de la gouvernance de la nature et de la société : l’une produit et déplace le risque, l’autre le capitalise”.7 Un exemple frappant est la politique de l’administration Trump qui, d’une part, a nié l’existence du changement climatique et, d’autre part, a promu l’extension du mur à la frontière entre les États-Unis et le Mexique, qui sert à empêcher l’afflux de migrant·es créé par la crise climatique.
Écologie réactionnaire et théories conspirationnistes
Faire face à la crise climatique globale nécessiterait une transformation radicale de la production en général et de la production d’énergie en particulier. En revanche, le “capitalisme vert” et le développement de la “production d’énergie renouvelable” ne constituent pas une solution au problème du désastre environnemental et créent encore plus de dégâts par d’autres moyens. Selon la Banque mondiale, la hausse des extractions de matériaux qui serait nécessaire pour construire suffisamment d’installations solaires et éoliennes pour produire une production annuelle d’environ 7 térawatts d’électricité d’ici 2050, afin d’alimenter environ la moitié de l’économie mondiale, est énorme : 17 millions de tonnes de cuivre, 20 millions de tonnes de plomb, 25 millions de tonnes de zinc, 81 millions de tonnes d’aluminium et pas moins de 2,4 milliards de tonnes de fer.8 La transition vers les énergies renouvelables nécessiterait une augmentation massive par rapport aux niveaux d’extraction existants. La demande en néodyme (un élément essentiel des turbines éoliennes) devrait augmenter de 35 % pour atteindre l’objectif de zéro émission, tandis que la demande en indium, essentiel à la technologie solaire, triplerait, et que la demande en lithium, nécessaire au stockage de l’énergie, devrait être multipliée par 27. Si nous nous concentrons uniquement sur le lithium, les fuites chimiques des mines de lithium ont empoisonné des rivières du Chili à l’Argentine, du Nevada au Tibet, tuant des écosystèmes entiers d’eau douce.9 Et ces chiffres ne couvriraient que l’énergie nécessaire à la production capitaliste actuelle. En d’autres termes, à moins d’une transformation radicale de la reproduction sociale, les prétendues “énergies propres” pourraient devenir aussi destructrices que les combustibles fossiles.10
Cependant, la critique émanant des forces réactionnaires ne se concentre pas sur le mode de production capitaliste et la dynamique de l’accumulation capitaliste, mais promeut un récit nationaliste-populiste selon lequel “les gens ordinaires” sont menacés par des “élites” cosmopolites et libérales – les “mondialistes” – qui exploitent le “mensonge du changement climatique” pour promouvoir leurs intérêts à leurs propres dépens, en détruisant les environnements, les modes de vie et les économies locales afin de parvenir à une gouvernance mondiale (le “nouvel ordre mondial”)11 et/ou de promouvoir “une industrie mondiale de plusieurs milliards de dollars”.12 Bien sûr, le changement climatique est exploité par les entreprises capitalistes du monde entier pour réaliser des profits. Cependant, le fait que des segments du capital puissent tirer profit de cette exploitation ne signifie évidemment pas que “la crise climatique est un mensonge, pas plus que le fait que Pfizer enregistre d’énormes bénéfices ne fait du COVID un mensonge”. Il faudrait avoir abandonné toute capacité de réflexion critique pour arriver à de telles conclusions, car elles trahissent une grave incompréhension du fonctionnement de la marchandisation et du profit capitalistes.13
La pensée conspirationniste ne se contente pas de détourner le mécontentement des rapports sociaux capitalistes. Elle est également instrumentalisée par les gouvernements pour rejeter la responsabilité de leurs échecs sur les boucs émissaires les plus commodes, en dirigeant la colère contre les groupes les plus faibles et les plus marginalisés de la population. Dans le cas de la Grèce, les théories conspirationnistes répandues selon lesquelles les incendies de forêt sont provoqués par des pyromanes dans le cadre d’un plan d’ensemble visant à dépeupler des régions entières, à modifier l’utilisation des sols, à installer des éoliennes ou, dans une autre version, par des agents secrets turcs ou des éléments suspects conspirant contre le pays, sont devenues partie intégrante du discours officiel de l’État grec. Mitsotakis, l’actuel premier ministre grec, n’a pas hésité à répéter et à promouvoir le récit raciste conspirationniste selon lequel les migrant·es/réfugié·es étaient responsables de la catastrophe sans précédent des incendies d’Evros d’août 2023, même si les déclarations officielles des services de pompiers attribuaient l’incendie à la foudre dans le contexte d’un phénomène d’orage sec. Dans le même temps, il a fourni un soutien politique aux milices fascistes opérant à la frontière, détenant, torturant et volant illégalement des migrant·es et des réfugié·es, présentant les pogroms racistes comme des actes de “justice vigilante” contre les pyromanes (inexistants), tout en occultant le fait que ces milices ont été formées avec la pleine coopération avec les autorités locales, les gardes-frontières et la police.
Une autre pratique négationniste appropriée et instrumentalisée par le gouvernement grec consiste à accuser les scientifiques et les institutions de servir l’agenda politique d’un ennemi perfide de la nation (dans certains cas, cet ennemi est identifié aux élites mondialistes, dans d’autres cas, il est identifié aux traîtres gauchistes qui servent les intérêts des pays ennemis). Tout d’abord, le ministère de l’environnement a attaqué le programme européen d’observation de la terre Copernicus (le volet d’observation de la terre du programme spatial de l’Union Européenne dont l’aide a été officiellement sollicitée par la suite pour faire face aux incendies ), affirmant que son évaluation de la vaste zone détruite par les incendies était inexacte en raison de la “faible résolution” des images satellites. Les députés de Nouvelle Démocratie ont ensuite attaqué l’Observatoire national d’Athènes, affirmant qu’il menait une propagande et des jeux politiques en raison des données qu’il publiait sur les méga-incendies et l’augmentation considérable de la superficie brûlée. Il est évident que pour dissimuler l’inadéquation et l’incompétence totales des infrastructures et des services de l’État face aux catastrophes causées par les chaleurs et les sécheresses sans précédent et les inondations extrêmes qui reviennent avec une fréquence inédite en raison du changement climatique, les autorités de l’État n’hésiteront pas à utiliser tous les moyens, y compris les méthodes et le langage de l’extrême-droite fasciste.14
Post-fascisme
Cette tendance se manifeste politiquement par l’émergence, partout dans le monde, d’un nouveau courant d’extrême droite qui s’est emparé du pouvoir (Argentine, Hongrie, Italie) ou qui alterne avec les forces néolibérales autoritaires (qui comprennent les soi-disant partis de gauche et sociaux-démocrates qui se sont transformés en partis néolibéraux au cours des 35 dernières années). Dans les deux cas, la déshumanisation des sans-papiers et des citoyen·nes marginalisé·es (Roms, toxicomanes et sans-abri) a été normalisée. Son déguisement prétendument “antisystème” permet au nouveau courant d’extrême droite de mobiliser en masse les sections les plus réactionnaires et les plus amères de la classe ouvrière et de la petite bourgeoisie en faveur de la restauration de l’homogénéité nationale et de la stabilité sociale, c’est-à-dire de la restauration violente de l’unité du circuit de reproduction du capital social national.15 À la suite du marxiste hongrois Gaspar Miklos Tamás, nous qualifions ce courant de post-fasciste16, ce qui correspond à une forme de politique qui combine des éléments de néolibéralisme, de nationalisme, d’individualisme libertarien et de démocratie moderne, tout en excluant formellement ou informellement de la citoyenneté l’ensemble de la population excédentaire, c’est-à-dire la population qui ne peut même pas vendre sa force de travail à des fins d’exploitation, qui constitue la majorité des habitant·es des pays les plus pauvres et une partie importante de la population des pays développés, qui survivent grâce à l’aide “humanitaire” et à l’économie “informelle”.
À ce stade, nous avons esquissé un tableau approximatif de la situation sinistre à laquelle nous sommes confronté·es. Notre critique du courant et du régime post-fasciste qui a émergé et s’est consolidé au cours des 15 dernières années, dans une période de “polycrise” capitaliste prolongée, dont la crise climatique est l’une des formes les plus fondamentales, est un complément nécessaire à la critique de la gestion “normale” de la crise écologique dans la conjoncture actuelle, à travers la stratégie du soi-disant “développement durable”, de l'”économie circulaire”, du “Green Deal”, et d’autres du même ordre. Les deux pôles de l’État “normatif” (“arc démocratique”) et de l’État “discrétionnaire” (post-fascistes de toutes couleurs) ne s’excluent pas mutuellement mais se renforcent réciproquement. Toute tentative de mener une critique sociale doit s’opposer simultanément à ces deux pôles. L'”état de nécessité” instauré par la crise capitaliste et surtout par sa forme écologique est une accumulation de désastres et de ruines. Cependant, la destruction de l’équilibre écologique planétaire reste encore aujourd’hui “un aspect concret de la critique de l’économie politique”.17 “On peut prédire l’entropie, mais pas le surgissement de quelque chose de nouveau. Le rôle de l’imagination théorique est encore de discerner, dans un présent écrasé par la probabilité du pire, les diverses possibilités qui restent néanmoins ouvertes “18. En ce qui nous concerne, nous continuons à voir les possibilités qui peuvent être ouvertes par les luttes de classe et les luttes sociales contre le monde du capital et qui, nécessairement, rejettent tout ce qui est lié à l’État et au nationalisme.
28 janvier 2024